Le ministre de l'Intérieur limogé, des affiches qui appellent à « dénoncer les fraudes » par téléphone, des dizaines de tentes aux couleurs du candidat Ianoukovitch devant la Commission électorale, la Présidence ou le Gouvernement... La pression est montée d'un cran à Kiev, à quelques jours seulement du deuxième tour des élections présidentielles ukrainiennes. Les deux camps dénoncent avec force les fraudes massives que prépareraient leur rival, alors même que selon les observateurs internationaux, le premier tour s'est déroulé de façon quasi-exemplaire. « Tout est question de rhétorique, affirme Nico Lange, directeur du bureau ukrainien de la fondation Konrad-Adenauer. Je pense personnellement que le deuxième tour sera également équitable et transparent mais nous sommes dans la construction d'un discours, destiné à préparer l'opinion ukrainienne et internationale à une bataille autour des résultats des élections. » Au sein de l'Etat-major du favori, Viktor Ianoukovitch, l'heure est déjà à l'élaboration des scénarios de l'après-scrutin et les coups pleuvent pour déstabiliser l'adversaire Timochenko. La semaine dernière, Ianoukovitch a savamment retourné le Parlement, ralliant dans une coalition de circonstance certains députés proche de l'actuel Président Viktor Iouchtchenko. Fort de cette nouvelle majorité, le chef de l'opposition a réussi à limoger le Ministre de l'intérieur, un poste clé en cas d'éventuelles protestations. Mercredi, il a également fait voter un dernier amendement à la loi électorale, quatre jours seulement avant le scrutin: selon ces nouvelles règles du jeu électoral, le quorum des deux tiers et la parité des deux camps dans les commissions électorales locales ne seraient plus nécessaires pour valider les résultats. Timochenko depuis, agite la menace, peu crédible, d'une nouvelle révolution orange : « On change en quelques jours toutes les règles du jeu, a déclaré hier la Premier ministre. Cela ouvre la voie à une falsification complète du vote. Après cette loi on ne peut simplement plus parler d'élections démocratiques ». Pour le politologue Petro Burkovski, analyste à l'institut de recherche stratégique de Kiev, « cette loi est une simple façade légale. Pour falsifier les résultats, il faut pousser les membres des commissions électorales à les maquiller. Il y a dans les deux camps des personnes qui ont un passé criminel et qui peuvent se charger de ce genre de procédés. Mais tous ont besoin d'un cadre qui permette de donner un aspect légal à ces manœuvres...»
Si Ianoukovitch abat ses cartes en coulisses, Timochenko, distancée de 10 points au premier tour, se démène sur le devant de la scène. « Timochenko est celle qui doit convaincre, et sa position n'est pas confortable, assure Nico Lange. Alors que le but de Ianoukovitch n'est pas de gagner de nouveaux électeurs, mais simplement de mobiliser ceux qui sont déjà pour lui. » Le chef de l'opposition s'est même offert le luxe de snober le grand débat télévisé diffusé mardi soir sur la chaîne nationale, conscient de ses faiblesses oratoire face à la très télégénique Premier ministre. Ioulia Timochenko a donc monologué pendant deux heures, face à un pupitre vide, ne manquant pas au passage de moquer son adversaire, qualifié de « poltron ordinaire ». Un ultime acte de bravoure, avant le jour J. « Le résultat va être extrêmement serré, prédit Oleg Ribatchuk, ancien chef du secrétariat présidentiel et éminence grise de la société civile. Je pense que le plus intéressant, ce n'est pas qui va gagner, mais comment le perdant va réagir. Ni l'un ni l'autre n'ont de réels soutiens populaires. A contester les résultats à tout prix, il y a un grand risque à perdre définitivement sa réputation ».
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