Mathilde Goanec
Que
s'est il passé, lundi et vendredi derniers, dans les studios de la
célèbre émission Shuster Live, en Ukraine ? Par deux fois, une
attaque électromagnétique a empêché l'émission de se dérouler
normalement, semant la panique chez le présentateur et les
techniciens.
« La
première salve a eu lieu lundi, lors de la quotidienne, quinze
minutes avant le début du show,
raconte Nikita Khorozov, assistant de Savik Shuster, sur le plateau
de l'émission diffusée tous les jours en prime-time sur la chaine
Ukraïna TV. Les
studios sont neufs et nous avons d'abord pensé à un défaut
d'installation, même si les tests réalisés depuis des semaines
s'étaient déroulés normalement».
L'invité du jour est le Président du Parlement, Volodymir Litvin,
et les équipes suspectent également une possible interférence
avec son service de sécurité, déployé dans les parages. Mardi,
mercredi, jeudi, tout se déroule sans fausse note. Vendredi, c'est
de nouveau l'affolement : « Les
deux générateurs centraux ont cessé de fonctionner et de
transmettre l'image, comme en début de semaine. Au même moment, les
tables de la régie se sont éteintes, le Wi-Fi a sauté, et nous
avions de la friture sur les lignes de nos talkie-walkies ».
ValeriyVergelesov, le directeur technique, aujourd'hui tranquille dans ses baskets vertes, n'en menait pas large, vendredi dernier: « On a rebranché de vieux magnétos, ce qui a fonctionné plus ou moins jusqu'à 21 h 24, quand il y a eu une deuxième salve, encore plus forte. Nous avons été obligé de mettre de la publicité pendant 20 minutes à la place du direct, et puis c'est revenu, comme par magie». Crise de nerf, saignements de nez, maux de têtes et vomissements, quatre techniciens partent à l'hôpital dans la soirée. Du banal incident technique, on passe au « néo terrorisme », selon Savik Shuster : l'attaque vient nécessairement de l'extérieur, et a dû être réalisée avec du matériel militaire embarqué, seul à même de brouiller ainsi des fréquences à distance. Scénario digne d'un roman d'espionnage, mais pourtant rapidement confirmé par les autorités.
Ce
soir-là, Shuster recevait deux candidats à l'élection
présidentielle de janvier prochain, Arseni Yatseniuk et Sergiy
Tihipko, pour une émission de quatre heures en direct. Face au
public, Savik Shustrer, vieux routard du show politique, devant qui
se presse tout le beau monde ukrainien, starlettes, politologues,
parlementaires, ministres déchus, opposition et gouvernement. Les
débats sont vifs chez Shuster, certains en sont même déjà venus
aux mains, dans une mise en scène très spectacle de la politique.
L'émission conserve pourtant un certain crédit dans l'opinion
publique, dans un paysage télévisuel ukrainien largement inféodé
aux clans politiques et oligarchiques.
« Pour
ma part, je ne pense pas que cette attaque soit partisane, estime
l'animateur, bronzé et grisonnant. Parce
que j'ai un rapport disons loyal avec toutes les forces politiques du
pays et
que je reçois tout le monde ».
Auparavant associé avec l'homme d'affaires et marchand d'armes
Mohammed Zahoor, Savik Shuster a décidé il y a quelques mois de
changer d'investisseur, et a construit ses propres studios, en
périphérie de la ville. Règlement de compte économique ? « Je
n'ai pris les studios de personne, et je ne vois pas quel intérêt
on pourrait avoir à saboter l'émission ».
L'animateur, qui a fait ses armes télévisuelles à Moscou, ne veut pas jouer au « conspirationniste», mais évoque un possible test sur l'opinion publique : « Je vois ça comme une expérience. Nous sommes en début de campagne présidentielle, et l'une des émissions les plus populaires en Ukraine subit une attaque électromagnétique, sans que cela n'émeuve personne. Si cela arrivait partout ailleurs, cela provoquerait immédiatement un scandale. Ici, rien Cela en dit long sur la passivité actuelle de la société ukrainienne». Quelques parlementaires ont demandé l'ouverture d'une commission d'enquête, le Président et le Premier ministre ont également été alertés. Dans les bâtiments de Shuster Live, on installe des blindages métalliques autour des studios et Valériy a descendu sous terre les générateurs, désormais calfeutrés sous une épaisse coque de cuivre. Le show, lui, continue.
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