Démission du Premier ministre et de son gouvernement, conflit ouvert entre l’exécutif et le Parlement, le Kirghizistan ne parvient pas à se stabiliser, malgré l’adoption d’une nouvelle Constitution de compromis le 9 novembre dernier (lien vers article précédent). Le jeu politique de la petite république s’embrouille, alors qu’une redistribution des cartes semble de plus en plus nécessaire. C’est une crise politique au long cours que vit actuellement le Kirghizistan. Nouvel éclat en date, la démission du premier ministre Félix Koulov et des 14 ministres du gouvernement, mardi 19 novembre. C’est manifestement l’une des nombreuses répliques des manifestations anti-gouvernementales de novembre, qui avaient abouti à l’adoption d’une nouvelle Constitution. Ce texte, ficelé et signé à la va-vite sous la pression de l’opposition et de la rue, devait renverser les rapports de force entre exécutif et législatif, au profit du Parlement. En effet, selon l’article 69 du texte officiel, « le parti politique qui emporte plus de 50 % des sièges lors des élections législatives, dans le cadre d’un système proportionnel, nomme le Premier ministre et soumet cette proposition au chef d’Etat qui l’approuve. Ainsi désigné, le Premier ministre peut alors former son gouvernement ». Une petite révolution dans la tradition présidentielle centrasiatique. Concession arrachée in extremis au président Bakiev, et qui pourrait à présent se retourner contre l’opposition et le Parlement. Le gouvernement actuel, constitué par Bakiev au lendemain de la « Révolution des tulipes » et confirmé après les présidentielles de juillet 2005, ne correspond pas à ces exigences. C’est ce décalage constitutionnel qui a justifié, selon Félix Koulov, sa démission surprise. Vide constitutionnel Dans les coulisses, les observateurs murmurent que ce départ serait plutôt le résultat d’une mésentente chronique entre le Parlement et le gouvernement, un blocage du processus législatif exacerbé depuis novembre et que seule une démission pouvait résoudre. Le jeu politique pourrait bien être encore plus complexe. Les ministres démissionnaires clament désormais dans toute la presse kirghize qu’ils ne doivent point être les seuls sacrifiés. Le Parlement, élu sous le régime d’Askar Akaev en 2005 et dans des conditions contestées, devrait lui aussi démissionner. Une manœuvre de plus, selon les députés de l’opposition, pour pousser les parlementaires actuels vers la sortie, afin de reconstituer une Assemblée plus docile. Depuis ce coup d’éclat, le vide constitutionnel s’est installé au sommet de l’Etat : peut-on nommer un nouveau gouvernement sans un nouveau Parlement, faut-il dissoudre la chambre, le Président en a-t-il toujours le pouvoir… ? Et si élections législatives anticipées il devait y avoir, dans quelles conditions se dérouleraient-elles, alors que les lois électorales mettant en application la nouvelle Constitution n’on pas encore été débattue par le Parlement ? Dans l’urgence créée par la démission du gouvernement, se révèlent les limites d’une Constitution mal fagotée… Et dans le flou, chacun tente de faire prévaloir son interprétation du texte pour infléchir le système à son avantage. Ainsi l’on a vu depuis plusieurs députés favorable au Président proposer à leur tour une nouvelle Constitution, le texte adopté en novembre à peine mis sous presse… La tentative est restée infructueuse, et ce sont finalement des amendements qui ont été mis au vote. Ces modifications constitutionnelles redonneraient au Président une bonne partie de ses prérogatives, perdues à la suite des manifestations du mois dernier. Les hommes forts du « Mouvement pour les réformes », leaders de l’opposition, crient au scandale et menacent de regagner la rue pour défendre « leur » Constitution. En attendant d’avoir pu démêler cet imbroglio, Kourmanbek Bakiev a déclaré que le gouvernement démissionnaire garderait ses fonctions. Des élections législatives pourraient avoir lieu au printemps 2007, afin de former un Parlement neuf, qui déboucherait sur un gouvernement plus représentatif du vote populaire. Programme PPTE D’ici là, le pays vacille, alors même qu’il a à prendre un choix décisif pour son avenir. Le Kirghizistan est éligible au programme PPTE, proposé par le FMI et la Banque mondiale pour les Pays pauvres très endettés. L’adhésion à ce programme exige la poursuite de lourdes réformes, notamment dans le domaine économique. Le gouvernement, favorable à ce programme contre l’avis d’une grande partie de la population, doit donner son accord avant la fin de l’année. Démissionnaire, l’équipe entourant Koulov est-elle encore habilitée à décider pour le pays ? Les tractations de ces derniers jours donnent du grain à moudre aux députés opposés au projet. Le Parlement dans son ensemble a exigé de prendre part au débat. Il n’a pour l’instant pas été entendu, malgré le vote d’une motion exigeant rapidement un vote sur ce thème. Mathilde GOANEC et Camille MAGNARD, pour Colisee.org